dimanche 12 septembre 2010

Marin Kasimir, paradoxalement

Hier nous avons vu l'expérience de Till Roeskens à Strasbourg.
Il existe dans mes classeurs d'autres types d'expériences d'artistes contemporains autour de la carte postale comme objet d'exploration.
Alors que chez Till Roeskens, il semble que l'expérience de la rencontre soit le centre du travail, ce que je vous propose ici est bien plus une histoire de point de vue, de localisation et de retour sur place.
L'artiste Marin Kasimir lors d'une exposition au sein de notre école avait choisi une carte postale du Mans, image assez banale et commune montrant la Sartre, sa rive moderne et ses vieux toits. Une carte postale où rien d'extraordinaire ne se passe à moins que l'on considère que tout est extraordinaire. On peut tout de même se réjouir sur cette carte postale d'un morceau du très bel immeuble courbe de Monsieur Le Couteur. Monsieur Kasimir en était-il conscient ?
Bref, ce choix effectué et la carte postale la Cigogne sélectionnée, il décida de retourner sur le lieux exact de son point de vue. Cette pratique nous la connaissons bien ici avec par exemple le travail de Julien Donada. Voir sur le lieu son image et le lieu lui-même dans la jubilation de son écart temporel est toujours une pratique judicieuse.
Mais là démarre pour Marin Kasimir un autre travail, celui d'une sorte de travelling fixe, de panorama dont il a l'habitude dans son travail photographique. Partant de l'image, il photographie le paysage, le déroule en un cercle fermé jusqu'à retomber sur son image de départ. Il boucle l'histoire en proposant l'édition de ce panorama morcelé en cartes postales qui démarre à gauche par un ready-made de la carte postale d'origine et s'achève par la photographie du même lieu en 2002.
On voit ainsi passer en 7 cartes postales le paysage invisible depuis l'image d'origine, sorte de complément, de ré-appropriation voulant contourner l'agacement du cadre. Le point de vue est pris depuis un petit immeuble qui ne manque d'ailleurs pas de qualités architecturales et qui propose des étages en coursives bien dans le goût de son époque. Il nous arrive encore avec Claude Lothier toujours friand de points de vue et d'images d'y emmener les étudiants. D'ailleurs la majeure partie des personnes présentes sur le jeu de cartes postales sont des étudiants de l'école. Une dame habitant ici pose devant sa porte ouverte. On remarquera aussi que tout le monde pose, offrant une fixité oculaire portée vers l'horizon et ne croisant jamais le regard du photographe. Sauf... peut-être au bout de la coursive Benoît Ciron (est-ce bien toi Benoît ?) qui semble n'avoir pas suivi la consigne...
Ce qui est surprenant avec ce travail c'est évidemment les raccords entre les images et la proposition d'un regard total, embrassant comme dans le regard réel le monde dans sa globalité. Ce désir est ici réalisé mais il est aussi contrarié par la photographie qui reste bien moins mobile que l'œil et détermine malgré tous les beaux efforts plastiques de Marin Kasimir un cadre duquel on est tour à tour exclu et intégré. De cette impossibilité frustrante, Marin Kasimir en fait un jeu qui n'est pas sans évoquer l'histoire même de la constitution du paysage déterminé à l'envi par l'invention de la fenêtre, de la perspective et de la stéréoscopie. Toujours il semble que les artistes voudraient enregistrer le monde dans une image qui serait comme le regard une perpétuelle mouvance de mises au point associée à une mobilité du corps. Mais chaque instrument rend cette aventure impossible. Le cinéma offre le mouvement mais même dans ses expériences de visions stéréoscopiques et à 360 degrés, il ne permettra pas cette promenade libre du regard.
On peut aussi saluer ici la judicieuse mise en scène de Marin Kasimir et le découpage effectué. Son morcellemans du panorama permet que chaque carte postale soit bien composée, reste une image "acceptable" et n'offrant pas de distorsion ou d'attente de sa voisine. Claude pourrait sans doute mieux que moi vous indiquer les aberrations et torsions de la perspective ici photographique. On remarque tout de même de légères juxtapositions d'images.
Je m'attarderai pour finir sur l'objet carte postale.
L'artiste cite bien son objet et le recto comme le verso comportent toutes les habitudes de nos cartes postales ordinaires : titre, lieux, séparations adresse-correspondance, matité du verso et brillance du recto, emplacement du timbre.
Toutes les cartes postales sont donc nommées d'un étrange et ouvert "Le Mans (Sartre) vue particulière".
Tout ce qui se veut artistique est dans ce mystérieux adjectif particulière...
En quoi finalemans ?
Est-ce que la carte La Cigogne d'origine serait nommée en son verso vue générale ?
Ah... les artistes et les jeux de mots....
Ne pas oublier non plus que chaque carte postale et donc chaque image est associée à un mot finissant par Le Mans (lement...) Nous avons ainsi sentimentalemans, brutalemans, habituellemans, paradoxalemans, continuellemans, et actuellemans !
On notera que habituellemans est associé à la photographie de l'habitante du lieu et actuellemans à la vue... actuelle de la ville.
Quel humour ! Humour que l'on retrouve d'ailleurs sur les commerces et services du Mans où chaque profession tente son jeu de mots autour de sa ville et de sa profession. Légalemans pour les notaire et mutuellemans pour les mutuelles...
Je vous laisse avec les cartes postales. Je vous les montre individuel Le Mans par ordre d'apparition de la gauche vers la droite. Je vais aussi tenter un travelling vidéo. Enfin puisque l'occasion nous en est donnée par l'artiste, je vous mets un collage des deux images du même point de vue.
Bonne visite du Mans.
sentimentalemans...

brutalemans...

individuellemans...

habituellement...

paradoxalemans...

continuellemans...

actuellemans...

le petit travelling réalisé pour la petite histoire avec ma presse lithographique...



et un petit collage :