mercredi 22 septembre 2010

arlequin 5



Dans la cour de l'école hôtelière où il venait d'arriver, il avait tout de suite repéré un peu au loin et seul ce jeune homme qui, comme lui, avait l'air d'arriver tout juste d'on ne sait où.
Pourtant, il n'alla pas le rencontrer, lui parler ni même croiser son regard, il devait juste attendre que la secrétaire pédagogique vienne le chercher.
Lui, il venait d'un village du Loir-et-Cher tellement français, tellement typique, qu'on aurait pu croire ce village fabriqué de toute pièce pour des décors de films de Chabrol, des cartes postales.


Dans cette ville de Neung-sur-Beuvron, rien d'extraordinaire n'avait marqué sa vie mais ce petit ordinaire avait aussi ses bons côtés et il avait grandi là en paix jouant avec les copains sur la place du village pendant toute son enfance.
Mais le temps était venu de "faire sa vie" comme lui avait dit sa grand-mère et il avait choisi l'hôtellerie autant pour la promesse de voyages possibles que par désir de suivre l'exemple du cousin Serge dont il avait été si proche, parti depuis déjà six ans sur le France comme serveur.
Alors il était là, attendant qu'on lui montre sa chambre d'apprenti. Il était un peu fatigué et avait hâte de poser sa valise.
Il fut à la fois surpris et gêné quand il vit la secrétaire pédagogique qui passait d'abord prendre l'autre type puis le rejoindre tous deux ensemble.
Des sourires, des poignées de mains et des banalités polies et les voici tous les trois se dirigeant vers le dortoir sous un ciel bleu zébré des lignes blanches des bimoteurs transatlantiques.............


............Il lui avait bien dit : "si tu vois la serviette rouge à la fenêtre c'est que la voix est libre, fais tout de même gaffe au gros Tonio à la réception, il est trop curieux."
L'un avait été nommé ici comme Maître d'hôtel dans le cadre d'un stage professionnel et linguistique, l'autre profitait de ces vacances, libéré de son propre travail au Novotel de la Grande Motte. Leur vie était ainsi encore marquée parfois par des kilomètres mais bientôt ils se l'étaient promis, ils auraient leur affaire.
Ainsi leurs retrouvailles devaient passer par ce type de rendez-vous un peu romanesque alors qu'ils n'avaient envie que d'une seule chose pouvoir vivre enfin leur histoire.
Il décida de faire de ce moment une histoire drôle et un souvenir dont ils riraient tous les deux dans quelque temps. Il était comme ça, c'était son caractère de toujours voir dans les instants les plus durs, les bons côtés. C'était aussi ce qui solidifiait leur couple cette manière de voir la vie, l'un toujours posé et bien droit, l'autre plus fantasque et plus léger.


Alors il passa dans le hall de l'hôtel Barbados, la tête haute avec un fou rire qui ne put éclater que dans l'ascenseur.
Car le Gros Tonio était en fait un gringalet affublé d'une tête incroyablement disproportionnée qui faisait de ce groom une sorte de personnage de bande dessinée, un pied nickelé trop sage.
Il appuya sur le 9 de l'ascenseur et il savait que les quelques secondes qui le séparaient encore des retrouvailles seraient les plus longues du monde.
Il s'amusa également du chiffre 9 qui était toujours présent dans leur histoire et crut comprendre que cette fois ce n'était pas un hasard si l'étage et le numéro de la chambre 909 étaient ainsi soulignés.
Car après tout, il n'était pas le Maître d'hôtel stagiaire pour rien et il lui était aisé depuis sa nomination ici de faire un peu comme bon lui semblait.
Le couloir un peu long était tout de même éclairé par le soleil bien franc de Mallorca qui teintait de bleu la moquette orange formant des ombres étranges.
Chambre 909, il frappa trois fois trois coups .....................................


...............Ils avaient entendu parler de cette affaire par une annonce dans le journal officiel de l'hôtellerie française.
Tout convenait à leur projet.
La région d'abord était celle d'origine de l'un deux, le Languedoc et Montpellier en particulier.
Puis la taille de l'établissement, ni trop grand ni trop réduit offrant des possibilités d'aménagement. En plus il était bien situé dans le nouveau quartier du Polygone, dynamique et fréquenté.
Ils aimaient le confort moderne et tout sur cette place leur permettait à quelques pas de l'hôtel d'avoir accès à cette vie.
Ils avaient arpenté la galerie du triangle, regardé les chaussures chez Bally et acheté enfin ce petit pull rose qu'ils avaient repéré deux jours avant aux Galerie Lafayette. Ils le porteraient chacun leur tour.
Ils n'avaient pas encore pris de décision mais dans leur silence complice sur leur avenir, ils savaient déjà qu'ils feraient un morceau de leur vie ici. Les ombres étaient longues sur le parvis et le ciel presque blanc annonçait une soirée orageuse.
Peut-être prendre encore le temps, simplement d'aller boire un verre en terrasse.
Demain c'est certain, ils seraient installés ici.


Les architectes de l'école hôtelière du Touquet-Paris-Plage sont messieurs Dufetel et Quetelard, la carte postale est une édition La Cigogne. Nous avions déjà vu ce bâtiment superbe ici.
La carte postale de Neung-sur-Beuvron est une édition Diffusion 2000 ! datée de 1981.
La carte postale de l'hôtel Barbados à Mallorca Magaluf est une édition CYP.
La carte postale du Triangle Antigone à Montpellier est une édition de la Palette expédiée en 1990.