samedi 24 septembre 2011

not so hard for you ?

soft hard french

Ce qui caractérise une époque, c'est souvent comment cette époque habille ses images.
On pourrait ainsi sans grande difficulté dire que la fin des années 50 et le début des années 60 se caractérisaient par le pastel.
La technique de colorisation au pochoir des cartes postales sur des images en noir et blanc produit une douceur, une suavité de sorbet pistache-fraise qui aujourd'hui nous amuse. Curieusement cette peinture posée sur la réalité photographique produit une poésie, une pictorialité que des artistes comme Mathieu Pernot ont à juste titre utilisées. Mais c'est aussi souvent (et malheureusement) le seul traitement que semble réserver aux bâtiments les propriétaires de ces lieux dans notre réel d'aujourd'hui.
Sur les murs des H.L.M, on peint, on ravale de ces roses saumon, de ces terres de Sienne les barres des "Cités" dites difficiles comme si finalement, (et là j'exagère !) l'idée que l'on se fait du bonheur possible dans ces lieux avaient pour modèle un pochoir appliqué brutalement avec des couleurs douces sur une réalité bien plus dure...
Mais là où nos éditeurs de cartes postales tentaient de jouer avec la réalité pour donner plus que la technique d'impression ne le permettait, nos ravalements d'aujourd'hui sont souvent des camouflets (camouflage ?) à une politique des banlieues bien triste, morne et sans pensée.
On fait propre.
C'est déjà ça...
Voyons ces deux cartes postales de Clichy, de la rue Léon Blum plus particulièrement.


Sur cette première carte postale Raymon le photographe choisit de viser le vide... entre les deux bâtiments.


Il fait une perspective cornue (c'est cela Claude ?) qui fuit de gauche et de droite accentuant à merveille la longueur des bâtiments. Mais le choix de ce vide rempli de bleu du ciel tente également sans doute pour le photographe premièrement de placer dans une seule image les deux barres et ainsi proposer à la vente aux habitants une situation plus aisée, et deuxièmement, ce vide dit aussi un espace, une circulation et donc une respiration adoucissant en quelque sorte la dureté des grilles des constructions. En regardant ce type d'urbanisme, je me pose souvent la question de comment sont calculés les angles d'articulation entre les bâtiments et la largeur de la séparation.

- "on va mettre celui-là ici et puis, tiens passe moi l'autre... on va le mettre comme ça."
- "Patron c'est un peu court, là pour le virage..."
- "Oui t'as raison, pousse le un peu sur la droite, on bouffe un peu sur le parc mais l'orientation n'est pas mauvaise"
- "Oui mais regardez Patron ça fait un rien corridor non ? là..."
- "Mouais, mouais, pas trop grave, y aura là un jardinet"

Mais je ne sais rien de cette difficulté à construire, rien. Ce que je sais c'est ce que je vois et ici l'espace autour des barres est vaste, presque trop comme si on n'avait pas su l'animer autrement que par des petites plantations parsemées de-ci de-là comme un motif sur un tapis, sur une moquette.


La même cité à Clichy, la même rue :


Mais pourquoi donc, le photographe ici n'a pas attendu que le camion se déplace ?
La camionnette Renault comble le vide du parc entre les deux immeubles et anime le lieu. Doit-il aussi dans sa réalité dire la vie du quartier ?
L'arbre semble pousser dans la benne et son feuillage est bien peinturluré !


Une question : les pochoirs étaient-ils réalisés avec une conscience de la réalité ou inventés à l'atelier, chez l'imprimeur avec juste un vague souvenir des couleurs vues le jour de la prise de vue ?
Mais une nouvelle fois, l'émotion simple de ce genre d'image naît de son animation. Derrière le camion, presque cachées, trois jeunes filles regardent le photographe, l'observent, nous observent à l'infini de la fixation photographique.



Chaque fois que je regarderai cette carte postale, elles seront là, dans la timidité de leur posture, dans leur distance respectueuse avec le détail si beau parce qu'attentif à leur coquetterie, d'un minuscule pochoir qui colore leur robe !


La personne qui a ainsi eu l'attention et la tendresse de donner un peu de couleur à ces deux robes de petites filles me rassure un rien sur le monde.
Quatre millimètres de couleur rose, peut-être même deux, en forme de triangles, font des trois enfants les témoins d'une architecture certes dure et française mais également habitée, vécue et sans doute, peut-on le croire aujourd'hui regrettée.
On pourrait dire du soft hard french.