dimanche 22 janvier 2012

La photographie accuse à tort

Voilà, il fallait que ça arrive.
Voici une preuve que la photographie fait tenir aux architectures des propos éloignés de leur réalité.



Les amateurs, les spécialistes auront reconnu ce lieu.
Un couloir sans aucune ouverture fuyant à l'infini d'un mur.



De part et d'autre du couloir des portes éclairées par le haut rythment avec d'étranges boîtes à verrou ce chemin un rien effrayant.





Personne. Rien. Et le silence d'une image finalement fait un bruit étouffant. On pense que seul le cliquetis d'un trousseau de clefs accroché à une ceinture pourrait réveiller ce lieu.
On ne sait pas si derrière nous le couloir à nouveau s'étend à l'infini. On ne sait ni par où on y arrive et encore moins comment en repartir... Et l'égalité permanente de l'ensemble pourrait faire penser à, au mieux un hospice, au pire une prison...
Oui.
Une prison.
Je vous entends mes amis de l'architecture être derrière votre écran horrifiés par ce dernier mot. Vous vous dites comment je peux vous parler ainsi de notre lieu, de celui que nous considérons certainement comme une icône de l'architecture et qui porte comme adjectif : radieuse...
Nous sommes en effet dans l'une des "rues" de la Cité Radieuse de le Corbusier à Marseille. Nous savons que cette image ne rend pas compte de l'espace de ce couloir, de sa polychromie rayonnante et joyeuse, des enfants courant sans crainte de bruits dans cet espace public et collectif voué à la rencontre et à l'échange. Nous savons que les boîtes donnent directement sur la cuisine de l'autre côté des murs. Nous savons que cette machine à habiter alterne lieux conviviaux et publics avec la plus grande discrétion de l'espace privé.
Mais...
Imaginons que nous sommes en 1959, que dans la boîte aux lettres de la famille de Bourgtheroulde cette carte postale tombe et rejoint la table de la cuisine. Que penserons les regardeurs d'une telle image, quelle références auront-ils pour penser et lire cette construction ? Comment ne pas accepter que la logique de projection de l'imaginaire emmène la Cité Radieuse vers des comparaisons ingrates et erronées ?
Nous devons simplement sans peur admettre que c'est possible. L'image de la Cité Radieuse, sa photographie ne dit pas la Cité et même parfois nous leurre.
La photographie est une mécréante, elle n'aime pas le réel, elle aime le photographe qui le lui rend bien en retour.
Alors ?
Alors il ne faut pas oublier que nous construisons autant les images qu'elles nous constituent. Ne pas oublier que nous ajoutons le matériel. Nous remplissons les bords, nous corrigeons les teintes, nous racontons les histoires. Je ne crois pas (suivez mon regard), je ne crois pas que la multiplication des images use les objets, use les images. Je crois simplement que chaque fois, chaque seconde est une réévaluation, une mise au point. L'œil trop mobile aime aussi reconnaître son espace, s'y poser. Il ne se trompe pas, ne se leurre pas. Il sait qu'il lit une image et ce qui est merveilleux (magique j'entends) c'est bien que dans cette illusion il s'amuse à se croire dans le réel simplement parce que c'est aussi un réel une image.
Laissons-nous porter par la comparaison. Ici la Cité Radieuse, sur cette carte postale Ryner est une prison. Oui. C'est une prison. Mais nous savons qu'il n'en est rien. Ne faisons pas semblant de ne pas le voir car alors ce n'est plus l'image qui nous leurrerait mais nous-même, nous interdisant d'être dans le réel de ce qui nous constitue : notre culture de l'image.
On comprend alors facilement le désir des architectes de tenir leurs images, de travailler avec des photographes qui les servent, les comprennent voire les idolâtrent. Car cette image de la Cité Radieuse n'est sans doute pas celle imaginée, prévue dans l'imaginaire du travail de Corbu au moment de la conception. Sans doute pas.
Où est la vérité du lieu ?


Au verso de la carte postale Ryner pour la Société des éditions de France on peut lire tout cela :
Le Carrefour du Monde
8313 Marseille Unité d'Habitation
"la Cité Radieuse"
Le Corbusier (Architecte)
Rue intérieure donnant accès aux Appartements
Voyagence Concessionnaire du Service des Visites, 31 La Canebière, 31 Marseille.

Est-ce que tout cela permet de relativiser l'image ?
Que architecte qui qualifie Le Corbusier soit entre parenthèse signifie-t-il un doute ? Il est architecte entre parenthèses...
L'appellation de rue est celle de Corbu mais comment cette image nous en parle-t-elle ? On remarquera le A majuscule sur Appartements.
Mais il faut relativiser cette carte postale car elle s'inscrit aussi dans une série montrant le reste de l'objet architectural. On sait aussi que l'expéditeur a la possibilité de "compléter" l'image de son commentaire élogieux ou non, on sait aussi qu'une image n'est jamais seule, elle fonctionne avec l'ensemble des autres images, des médias. Cela permet souvent d'ajouter la couleur... et le témoignage au retour du voyage fera entre l'expéditeur et le correspondant la correction de l'image. N'est-ce pas finalement la fonction d'une image ?
Être le point d'appui d'une parole. (en attendant une vérité)

2 commentaires:

Jérémie Lopez a dit…

Salut david,
pour une fois je ne suis pas vraiment ta logique. Qu'est ce qui t'as poussé à écrire ca ?

Je ne comprends pas certaines choses. Comme cette phrase par exemple :
" Ne faisons pas semblant de ne pas le voir car alors ce n'est plus l'image qui nous leurrerait mais nous-même, nous interdisant d'être dans le réel de ce qui nous constitue : notre culture de l'image. "

Pour moi ce n'est pas une prison. Il y a certes une redondance dans les mesures et les formes mais une esthétique se dégage de ca. Après je pense que contrairement à ce que tu pense, Corbu voulait cette violence. Il l'aimé cette violence. Ce couloir n'est que le reflet des facades. Il n'est que l'apéro du plan voisin. Le corbu lui même est une prison !

PS : mes etudes vont bien dsl pour la réponse très tardive. Nous travaillions ce premier semestre sur la construction de 60 logements dans le centre ville de Marseille. C'était passionant. J'ai eu 13 d'ailleurs. Mais il faudrait à la limite qu'on en discute par mail ce serait plus smple.

Liaudet David a dit…

Bonsoir Jérémie,

d'abord je suis heureux d'avoir de tes nouvelles et de te savoir heureux de tes études; tu suis le blog et cela me fait bien plaisir.
je vais aussi sur le tien prendre des nouvelles.
je réponds à ta question : il va se soi que la cité radieuse n'est pas une prison et que je ne pense rien de négatif à son égard bien au contraire.
le but de l'article était de montrer que parfois et malgré nous les images portent des références qui débordent à la fois nos connaissances réelles et l'imaginaire des lieux.
Oui, je trouve cette image un rien dure, difficile mais c'est bien l'image qui est ainsi et non le lieu. Et même en sachant ce que je sais du lieu, mon expérience des 5 unités que j'ai visité, lorsque je vois cette image je ne peux m'empêcher d'y coller des images mentales bien différentes...
Voilà !
je suis peut-être un peu plus clair.
j'aime bien ton expression l'apéro du plan voisin !

Corbu était à la fois dur avec les hommes et aussi sans aucun doute un humaniste. ce qui est difficile c'est d'aimer le particulier et la masse.
Mais son travail est une belle œuvre, fine, difficile, et souvent juste.

je te salue bien.

David